Si les fleurs jouent un rôle essentiel dans l’alimentation des pollinisateurs adultes, recréer des conditions propices à chaque étape de leur cycle de vie est fondamental pour leur apporter un soutien durable : le bon support pour pondre, de quoi manger au stade larvaire, un refuge pour l’hiver… Alors que faire ?
Saviez-vous que l'anthocope des coquelicots tapisse ses galeries de pétales de coquelicots, que le bois mort de chêne nourrit les larves de lepture porte-cœur, ou que l'éristale des fleurs pond dans des cavités d'arbres remplies d'eau ?
Les besoins à prendre en compte peuvent être très différents, avec plus de 20 000 espèces d’insectes floricoles en France métropolitaine, dont une partie pollinisateurs, le tout ayant des modes de vie et conditions de développement variables.
Se focaliser sur une seule espèce pour orienter toutes les actions de conservation pourrait éclipser des enjeux importants pour les autres.
Pour répondre aux besoins de cette grande diversité d’insectes pollinisateurs, il est essentiel de favoriser une variété d’habitats et micro-habitats connectés entre eux, sur des petits espaces comme à l’échelle d’un territoire entier (incluant les tas de bois, de pierre, de terre, la terre à nu…). Tous ont leur importance et certains sont même indispensables à l’accomplissement du cycle de vie de nombreux insectes.
Xylocopa iris ©Gideon Pisanty(Gidip)_CC BY-SA 3.0
L’attrait des prairies pour les pollinisateurs ne se limite pas à la diversité de fleurs qu’elles offrent aux adultes. Ces espaces de végétation herbacée haute sont dominés par des herbes (graminées) et répondent à de multiples besoins. Le Demi-deuil, comme de nombreux papillons, pond par exemple ses œufs sur des graminées dont la chenille se nourrira ensuite avant d’hiverner dans la partie basse de la strate herbacée. Les tiges de fleurs peuvent aussi, une fois sèches, servir d’espace de nidification pour de nombreuses espèces, comme pour le xylocope irisé, une abeille sauvage noire bleutée.
Les friches accueillent une grande diversité de plantes souvent pionnières et adaptées aux milieux perturbés. Ces zones sont transitoires, puisque la végétation évolue naturellement avec le temps, jusqu’à mener à une forêt spontanée. Une mosaïque d’habitats s’y développe, mêlant espaces ouverts, fourrés et jeunes forêts.
Cette diversité de végétation et de structures offre un cadre favorable à nombre de pollinisateurs : une étude menée sur une friche de Seine-Saint-Denis a recensé 160 espèces d'insectes pollinisateurs sur 50 espèces de plantes1, tandis qu'une autre menée en Pologne, montre que 42 % des espèces d'abeilles du pays se trouvent également dans des friches urbaines2.
Les haies et les forêts, lorsqu’elles sont composées d’essences diversifiées, locales et sauvages, offrent des sources de pollen et de nectar via les fleurs de leurs arbres et arbustes, ainsi que des sites de ponte et d’hivernage. Elles fournissent également des espaces pour le développement de nombreuses larves de pollinisateurs : des feuilles (herbes, arbustes et arbres) pour l'alimentation des chenilles ou des fausse-chenilles (tenthrèdes) ; du bois mort pour les coléoptères (saproxylophages) comme les cétoines, les buprestes ou les longicornes ; des points d’eau pour le développement des Éristales ; des proies pour les larves de prédateurs (syrphes, chrysopes…)...
Le Tabac d'Espagne pond par exemple ses œufs sur le sol, les pierres ou les écorces d’arbres au pied desquelles poussent des violettes. La chenille, après l'éclosion en fin d’automne, hiverne dans les anfractuosités de ces arbres avant de descendre au printemps pour se nourrir des feuilles de violettes. La Xylote des forêts, quant à elle, dépend du bois mort attaqué par les champignons pour son développement larvaire.
Les lisières des haies et forêts sont des zones de transition riches en biodiversité, attractives pour des espèces spécifiques mais aussi celles de milieux fermés (comme les forêts) et ouverts (comme les prairies). Mais à la condition de présenter une diversité végétale et de strates (herbacée, arbustive, arborée).
Argynnis paphia (Tabac d'Espagne) ©Deanster1983 who s on and off_CC BY-ND 2.0
©Rémi Chabert_CC BY NC SA 4.0
Ces milieux sont des habitats cruciaux pour les insectes pollinisateurs, fournissant les conditions nécessaires au développement de certaines espèces, comme la mélitte de la salicaire. Cette abeille sauvage prélève du pollen uniquement dans les fleurs roses de la salicaire pour garnir les cellules de son nid et nourrir ses larves.
Autre espèce emblématique des zones humides : le cuivré des marais. Ce papillon, protégé car menacé, fréquente les prairies humides ou inondables et les marais. Il pond ses œufs sur des oseilles sauvages (genre Rumex). Les chenilles issues de la deuxième génération hivernent dans des feuilles sèches enroulées et peuvent même supporter l'immersion pendant quelques semaines. L'adulte se nourrit sur des fleurs des zones humides (pulicaire dysentérique, salicaire, cresson amphibie, eupatoire à feuilles de chanvre…).
Il est essentiel de bien connaître et d'identifier la diversité des habitats naturels qui composent un territoire pour en dresser un état des lieux précis et mettre en évidence les continuités écologiques et les interactions entre les différents milieux.
La cartographie de ces habitats constitue un outil fondamental pour visualiser leur répartition, leur étendue, leur qualité et leurs relations. Elle peut être réalisée dans le cadre d’un atlas de biodiversité communale (ABC).
Une telle démarche ne se limite pas à inventorier les habitats : elle permet également d’identifier les corridors écologiques qui les relient et qui sont essentiels au maintien des espèces : les trames verte et bleue, mais aussi - moins souvent évoquées - la trame brune, qui prend en compte les continuités des sols et la trame noire, qui vise à réduire la pollution lumineuse et à restaurer des espaces obscurs, favorables à la faune nocturne, ainsi qu'au bien-être des espèces diurnes.
©Bleuenn Adam_CC BY NC SA 4.0
Les plantes indigènes, fruits d’une coévolution avec les pollinisateurs locaux, sont à privilégier. Des études montrent que ces plantes augmentent la biodiversité animale, notamment en milieu urbain. En diversifiant les strates végétales (herbacée, arbustive, arborée) et en variant les conditions locales (ensoleillement, humidité, pente), vous répondez aux besoins d’un maximum d’espèces. Pour rappel, 70 % des espèces d’abeilles sauvages nichent dans le sol.
Toutefois, en milieu urbain plus qu’ailleurs et du fait des effets d'îlots de chaleur, il peut être utile, voire nécessaire d'implanter des plantes plus adaptées à des conditions de chaleur et de sécheresse plus importantes. Il est ainsi judicieux de remonter des individus des mêmes espèces, mais issus de zones plus chaudes.
En outre, il est probablement utile de remonter également de nouvelles espèces. Mais attention : pour conserver des zones d'alimentation adaptées à la faune locale, il est indispensable de laisser la part belle aux indigènes.
La conception d'une mosaïque d'habitats est donc essentielle pour la conservation des insectes pollinisateurs. Pour assurer leur accueil durable, il est crucial de revoir les modes de gestion des espaces, en adaptant la fréquence d’entretien, le zonage spatial des interventions, le choix du matériel…
(1) BAUDE M., 2012 - Quels pollinisateurs dans les friches ? Partie I, Friches urbaines et biodiversité. Rencontres de Naturparif, 18 novembre 2011, à Saint-Denis, Naturparif, Paris, 28p.
(2) Twerd, Lucyna & Banaszak-Cibicka, Weronika. (2019). Wastelands: their attractiveness and importance for preserving the diversity of wild bees in urban areas. Journal of Insect Conservation. 23. 10.1007/s10841-019-00148-8.